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Ce que mes années de sauvetage en mer m’ont apporté : Une aptitude à gérer l’incertitude et à apprendre à agir face à la peur
A l’âge de 23 ans, je me suis engagée comme sauveteuse en mer à la S.N.S.M pour surveiller les plages durant la période estivale. Quand vous êtes jeune et que vous pouvez gagner un peu d’argent en maillot de bain en gardant les plages, vous sautez sur l’occasion ! Seulement cette activité saisonnière implique une difficile année de formation en cours du soir et durant les week-end pour apprendre les gestes de premiers secours, la navigation en mer avec un zodiac ou un marine jet, un certificat en télécommunications pour parler dans une V.H.F, pratiquer l’hélitreuillage et s’entraîner de nombreuses heures sur des scénarios de sauvetage en mer.
Au cours des 2 premières saisons, j’étais une « sauveteuse simple » qui apprenait de ses pairs la gestion d’un poste de secours et la surveillance d’une plage. Dans le quotidien d’un sauveteur en mer, les accidents peuvent survenir de tous les côtés même si votre rôle est de surveiller des baigneurs et des plaisanciers. Les événements peuvent vous prendre par surprise, soit parce qu’un vacancier vient de faire un malaise dans l’eau ou parce qu’un enfant de 3 ans s’est perdu sur une plage de plus d’un kilomètre….
Céder ou non à la peur ?
Voilà une question que nous pouvions nous poser mais dans l’instant, nous devions plutôt penser à la gestion de l’intervention. Avoir peur, c’est naturel. Mais la laisser prendre le dessus conduit à ne pas agir. La peur est utile quand elle sert à identifier les axes d’intervention et les zones à risque.
Ce fût un des premiers enseignements de ces 2 premières années.
Avoir peur, c’est naturel. Mais la laisser prendre le dessus conduit à ne pas agir.
La distinction entre le risque et l’incertitude
En sauvetage, quand on intervient au secours d’un individu, on fait la distinction entre le risque et l’incertitude. Le risque pour un sauveteur correspond à des situations connues, à des accidents de plages qui se répètent comme par exemple les insolations, les malaises, les chutes, les noyades. Le risque se mesure à la fois pour celui qui sauve et celui est secouru. Dans ce cas, de nombreuses heures d’entrainement ont été nécessaires pour apprendre à gérer ces situations et à déterminer des scénarios d’interventions.
A l’inverse, l’incertitude correspond à la nature inédite du phénomène auquel on est confronté. Par exemple, une tempête peut être avoir certains aspects connus, comme une houle importante et générer beaucoup de vent. Mais chaque tempête provoque des événements inédits, comme le naufrage de plusieurs bateaux sur une plage.
Une saison 2001 avec des incertitudes
Pour illustrer ce propos, j’aimerais vous raconter une histoire vécue lors d’une saison en 2001 passée à Saint Palais-sur-Mer. A l‘époque j’étais cheffe de poste et gérai une équipe de 4 sauveteurs. Nous avions en moyenne une évacuation par jour. La plage était très fréquentée et de nombreux accidents avaient lieu, de toute nature. Leur gravité augmentait au fur et à mesure que le mois juillet défilait…
A la fin du mois, nous avons été alertés d’une tempête à venir. En plage, les avis de grand frais et de coup de vent peuvent être récurrents. Une tempête est plus rare même si aujourd’hui ce phénomène est plus fréquent.
La tempête est intervenue en fin de journée et a continué jusqu’au lendemain.
Au petit matin, lorsque nous nous sommes rendus sur la plage, plusieurs bateaux de plaisance s’étaient échoués et d’autres étaient en train de couler accrochés à leur mouillage. Certains étaient également en dérive dans la zone de baignade. Pour nous, la priorité était de sécuriser la zone et d’évacuer les bateaux échoués. J’ai lancé une alerte au SDIS de Royans pour leur demander d’intervenir et nous aider dans nos multiples interventions.
Au bout de plus de 2 heures d’interventions, un des pompiers était en difficulté avec un des bateaux au mouillage. Sans attendre, j’ai pris mes palmes et j’ai nagé jusqu’au bateau en détresse. Je mentirais si je n’avouais pas avoir eu peur de m’engager dans une mer très agitée et dans une zone avec des bateaux en galère. Mais j’avais été formée à nager dans une forte houle et je faisais également confiance en la capacité de mon équipe et dans celle du SDIS d’intervenir en cas de problème.
Aussi face l’incertitude liée à cette situation inédite et malgré l’émotion, j’ai décidé d’assurer ma mission et d’agir.
Agir dans l’incertitude
Face aux situations inédites, l’incertitude peut varier considérablement. Il y a des situations radicalement inédites, où tout est incertain. Mais même dans ces rares situations, nous pouvons savoir ce qu’il est important de faire ou de ne pas faire. Le plus souvent, il suffit de se référer à des situations proches, ce qui permet de mettre en lumière des similitudes et des différences. C’est notamment le cas aujourd’hui avec la crise du COVID 19.
17 mars, le temps s’est presque arrêté…
Le 17 mars, pour de nombreux professionnels, le temps s’est arrêté. Les mesures de confinement ont mis fin aux activités. Forcément, ces annulations ont généré des pertes de recettes.
Pour mon agence, la question était de savoir ce qui pouvait être fait face à une situation qui évolue de semaine en semaine. La décision avait déjà été prise d’anticiper ces mesures de confinement et de mettre en avant ses capacités de télétravail et d’animations de classes virtuelles.
Dans la situation du Covid19, je me sers de ce que j’ai appris en sauvetage en mer : agir plutôt que de ne rien faire et de subir.
Certes, la mise en place du télétravail et des classes virtuelles a généré des coûts. Le maintien d’une stagiaire provoque des dépenses, qui étaient prévues avant le confinement.
Dans les études réalisées sur l’incertitude, il a été démontré qu’il est souvent plus facile d’évaluer la perte acceptable que le gain attendu. A ce jour, le pari est gagnant.
Mon mode de raisonnement face à l’incertitude
Mes années passées à la SNSM faisaient sourire mes proches quand j’étais jeune. Elles sont devenues pour moi une clé de raisonnement pour agir face aux dangers et aux difficultés.
Le dilemne est toujours le même: Agir ou subir.
J ‘ai choisi le premier.