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Ce que peut l’organisation apprenante face au phénomène du « désengagement » ?
Le désengagement au travail fait débat en France. Certains experts dénoncent un complot politico-médiatique pour jeter l’opprobre sur « ces paresseux de Français » et pour justifier la mise en place des réformes sur le travail. Pour d’autres, ce phénomène est bien réel comme en atteste le rapport State of the Global Workplace 2022 de Gallup affirmant que le taux d’engagement au travail des Français s’élèverait à… 6 %, soit le pire d’Europe.
En fait, comme le rappelle Marie Rebeyrolle, Docteure en Anthropologie sociale et spécialiste de l’entreprise dans un article, le sujet de l’engagement des salariés n’est pas nouveau. Ce qui change, c’est comment les organisations s’emparent de ce sujet.
Dans les organisations structurées sur le modèle de Taylor, certains analyseront l’engagement avec des indicateurs comme la durée du contrat de travail et de turn-over, l’absentéisme et le taux de productivité pour déterminer l’engagement. En cas de baisse ou de hausse de certains indicateurs, elles détermineront qu’il y a un désengagement.
Dans les organisations dites apprenantes, l’engagement sera défini avec d’autres critères comme le degré d’adaptation aux situations difficiles, la capacité à résoudre des problèmes complexes en équipe, la prise d’initiative sur des projets innovants portés par les collaborateurs ou sur une vision claire des responsabilités etc…
En sociologie du travail, l’opposition engagement et désengagement n’existe pas.
Vouloir répondre au désengagement par des remèdes à la mode, sans commencer par se demander comment l’organisation pense l’engagement, c’est passer à côté de beaucoup de choses pour réduire ce potentiel désengagement à une forme de travail.
Les remèdes pour lutter contre le désengagement ne sont pas forcément ceux qui engagent au Travail…
Encore aujourd’hui, la plupart des entreprises et des collectivités est organisée sur le modèle scientifique de Taylor, dont l’objectif central est basé sur l’augmentation des cadences et sur la productivité des salariés. Dans les organisations tayloriennes, les attributs récurrents de l’engagement au travail, comme la quête de sens, la qualité de vie, le lien social ne sont pas des priorités. Le salarié est un des maillons de la chaîne de production.
Malheureusement, les phénomènes de mode ont conduit ces organisations à mettre en place des remèdes face à un « désengagement » : mise en cause du management sur des modèles d’entreprise libérée, création de nouveaux métiers comme les Chiefs Happiness officer en charge d’aider à trouver le bonheur au travail, activités de développement personnel durant les temps de pauses, organisation d’un service expérience collaborateur pour fidéliser le salarié considéré comme un « worker consumer ».
A force de compenser et de ne pas avoir traité le sujet de l’engagement dans le modèle de l’organisation de travail, c’est maintenant tout le système qui boîte… En pensée systémique et dans les organisations apprenantes, on appelle d’ailleurs ce phénomène, une boucle de rétroaction. En apportant des solutions partielles ou mauvaises sur un problème donné, vous augmentez le problème initial.
Lorsque nous parlons de désengagement au travail, nous devrions déjà savoir si le sujet de l’engagement est un pilier de l’organisation. Comme exposé plus haut, dans les organisations tayloriennes, l’engagement est mesuré en cadences et en taux de productivité.
Dans les disciplines comme les sciences humaines et sociales, l’engagement est entendu « (…) comme une conduite ou un acte personnel qui désigne un mode d’existence, de rapport au monde (…) et/ou une manière de se lier volontairement à d’autres (…) ».
Toute la question est de savoir si le désengagement est lié au travail ou au modèle de travail proposé.
Quand il y a un désengagement dans un travail, cela ne signifie pas pour autant que le ou les collaborateurs n’ont pas un autre engagement dans d’autres formes de travail en parallèle : projet entreprenarial personnel comme l’auto-entreprenariat ou projet militant en lien avec leurs valeurs en tant que bénévole dans une association.
Si on en croit les chiffres sur l’engagement associatif, deux tiers des 16 ans et plus déclarent avoir été impliqués comme bénévoles, adhérents ou donateurs dans une association au cours des douze derniers mois (données 2021).
L’engagement dans une autre forme de travail, rémunéré ou non, est pourtant bien là.
Le lien social est un facteur d’engagement dans les organisations apprenantes
Dans les organisations tayloriennes, la cadence et la performance sont des piliers. Le lien social que les salariés créent entre eux, n’est pas une priorité. Le travail est divisé en tâches et il n’y a pas de lien entre les salariés. Dans ces organisations, celui qui est confronté à un problème, ne le résoud pas. Il en réfère à sa hiérarchie, qui s’adressera également au niveau supérieur pour trouver la solution.
Le sociologue Norbert Alter rappelle pourtant qu’un des leviers de l’engagement, c’est de laisser le temps de créer du lien entre les salariés pour qu’ils sachet à qui se référer en cas de soucis sur leur poste de travail.
Dans les organisations fondées sur le modèle de Taylor, Il y a ceux qui pensent et ceux qui exécutent. D’ailleurs, une des critiques du Taylorisme, c’est l’absence de lien entre ceux qui conçoivent et ceux qui sont sur le terrain, ceux qui sont donc confrontés aux problèmes de production.
Aussi, il est nécessaire de se poser une nouvelle question sur le désengagement : Demande-t-on aux salariés de comprendre ce qu’ils font et comment ils le font pour pouvoir résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés au quotidien ?
Dans le modèle de l’organisation apprenante, l’autonomie et l’adaptabilité sont au cœur du modèle. Les salariés sont amenés à avoir une liberté d’action face à une situation problème. Ils seront également amenés à savoir à qui s’adresser en cas de recherche de solutions. Pour cela, il est nécessaire de prendre le temps de travailler sur la création de liens sociaux, notamment en mettant en place des communautés de pratiques ou de métiers pour que chacun ait une vision de qui fait quoi au sein de l’organisation.
Trop de processus nuisent aux facteurs de sens et de responsabilité
Qu’est-ce qui amène un individu à prendre des responsabilités et à donner du sens à son travail ?
La réponse n’est pas unique et elle est pour partie liée à l’histoire de chacun ; de l’envie, le goût des responsabilités mais aussi pour d’autres la contrainte, la peur des conséquences de ne pas avoir pris ces mêmes responsabilités.
En entreprise, la responsabilité peut porter sur le fait de prendre des décisions pour obtenir des résultats appropriés. Elle peut porter aussi sur la mise en place de processus pour surmonter des obstacles et à adapter des moyens aux performances à atteindre. Seulement les normes s’accentuent en entreprise et deviennent des dogmes difficilement modifiables en fonction des contextes. Ces cadres de travail hérités du modèle taylorien sécurisent les fonctionnements et les standardisent. Par accumulation, le travail perd petit à petit du sens pour l’individu car son quotidien ressemble à un ensemble de référentiels à respecter et réduisent sa liberté d’agir pour pouvoir faire autrement pour améliorer le système.
Dans les organisations tayloriennes, les processus sont pensés par les bureaux d’études et sont ensuite déclinés à la production, qui doit les appliquer à la lettre. En cas de défaillance de la machine ou du système, celui-ci sera retravaillé par le service concepteur du process.
Dans les organisations apprenantes, les situations de travail sont pensés comme des processus d’apprentissage dans lesquels tous les salariés sont concernés. Tout le monde est responsable et engagé à résoudre des problèmes liés à son travail ou à chercher une solution pour débloquer le système. Les processus sont pensés comme des apprentissages organisationnels, c’est-à-dire comme des routines qui s’apprennent ou se désapprennent.
Ces modes opératoires feront l’objet de formations internes, sur le modèle pédagogique de l’AFEST ou d’ateliers pour réfléchir en équipe sur ces processus. Il ne s’agit pas de les modifier constamment mais de permettre à ceux qui sont amenés à les appliquer, de donner leurs avis ou leurs retours d’expériences sur le référentiel établi. Dans le cycle de l’apprentissage organisationnel, il s’agit surtout de permettre aux collaborateurs de comprendre ce qu’ils font et comment ils peuvent le faire évoluer pour que l’organisation ait la réelle capacité de s’adapter aux changements.
Des compétences sociales et cognitives et nourrir une culture de l’engagement à tous
Travailler en équipe, adapter des processus internes, résoudre des problèmes complexes avec des méthodes d’idéation, analyser un sujet avec des outils d’esprit critique sont des compétences sociales et cognitives de plus en plus inscrites dans les plans de formation.
Seulement, si ces compétences ont aujourd’hui le vent en poupe, elles ne se déploient pas tout le temps dans toute l’organisation et particulièrement dans les structures tayloriennes, qui distinguent ceux qui pensent et ceux qui appliquent.
Pour que ces compétences s’appliquent dans une organisation, elles doivent servir un objectif collectif comme la culture de l’entreprise et se déployer à toutes les strates. La culture est un actif stratégique et immatérielle des organisations. Celles qui investissent sur leur culture ont une croissance supérieure aux autres, selon plusieurs articles du magazine Harvard Business Review.
La culture correspond à des croyances et des comportements qui déterminent la façon d’agir des collaborateurs dans l’organisation. La culture dans l’organisation apprenante est un axe stratégique. Elle s’appuie sur « la capacité de l’organisation, à évoluer en permanence grâce à la participation active de tous les membres dans l’identification et la résolution des problèmes liés au travail ». Dans cette définition, la question de participation active de tous les membres, autrement dit de l’engagement de tous, est au centre de la culture de l’organisation. Pour cela, l’organisation s’engage également à développer de nouvelles capacités sociales, comme le travail en équipe et des compétences cognitives comme la résolution de problèmes ou la créativité à tous les niveaux de l’entreprise.
Si votre organisation est historiquement taylorienne et si vous souhaitez remédier à un potentiel désengagement, peut-être serait-il utile dans un premier temps de savoir si l’organisation a une culture de l’engagement dans un premier temps de savoir si l’organisation a une culture de l’engagement et si celle-ci est en adéquation avec le modèle organisationnel proposé aux salariés.
Et par expérience, ce sujet se travaille à tous les niveaux de l’entreprise et avec des personnes engagées et non-engagées.